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REMISE DU PRIX LUDOVIC TRARIEUX 1998

à M. ZHOU Guoqiang


  • Discours de M. Claude HANOTEAU, Directeur de l'Ecole Nationale de la Magistrature
  • Discours de M. le Bâtonnier Georges TONNET, Bâtonnier de l'Ordree des Avocats à la Cour d'Appel de Bordeaux
  • Discours de M. Christian ROTH, Président de l'Union des Avocats Européens (UAE)
  • Discours de M. le Bâtonnier Louis-Edmond PETTITI, Juge à la Cour européenne des droits de l'Homme
  • Discours de M. le Bâtonnier Bertrand FAVREAU, Président de l'Institut des Droits de l'Homme du Barreau de Bordeaux
  • Remerciement de M. LIU Qing, président d'HUMAN RIGHTS IN CHINA
  •  

    REMISE DU PRIX LUDOVIC TRARIEUX

    INTERVENTION DE MONSIEUR CLAUDE HANOTEAU,

    Directeur de l’Ecole Nationale de la Magistrature

    Mesdames et Messieurs,

    En vous accueillant dans ce grand amphithéâtre, je suis habité par le sentiment que notre l'Ecole Nationale de la Magistrature est aujourd'hui, particulièrement honorée. Cette enceinte, dans laquelle jour après jour nos jeunes futurs magistrats découvrent qu'en véritables gardiens de la loi, ils auront à veiller scrupuleusement à ce que soient sauvegardés les droits fondamentaux de la personne - que ce soit le droit à la liberté et à la sûreté, le droit au procès équitable - que ce soit le droit à la présomption d'innocence.

    Cette enceinte est justement le lieu où dans un instant sera distingué un avocat qui par son oeuvre, son activité ou ses souffrances, illustre la défense de ces mêmes droits.

    Vous comprendrez, Mesdames et Messieurs, qu'outre les magistrats qui oeuvrent au sein de notre école, assiste à cette cérémonie une délégation de nos auditeurs de justice, qui doivent entendre évoquer l'exemple de Monsieur ZHOU GUOQIANG, avocat et militant syndicaliste de Chine, combattant pour la démocratie et dont le parcours est jalonné d'enfermements et de persécutions.

    Ayant tout récemment quitté les geôles de ceux qui l'oppriment, il s'exprimait sur les ondes d'une radio libre d'Asie en ces termes : " Aujourd'hui, je suis privé de tout travail comme des millions de chômeurs chinois. J’ai besoin d'être protégé par- le droit. Fidèle à l'esprit des lois, je continue à combattre pour la défense de mes droits et ceux de mes compatriotes. C'est ce que j'ai décidé de faire et rien ne peut me contraindre à abandonner le chemin ". Derrière ce Rien nous pressentons l'horreur qui s'y cache.

    Monsieur LIU QING, qui êtes venu le représenter à cette cérémonie alors qu'il craint s'il était autorisé à quitter la Chine de ne plus pouvoir y retourner pour continuer son combat, dites lui, transmettez lui ce message : Dans cette école, dans cette maison où l'on apprend à respecter, à vénérer la règle de Droit, nous entendons avec émotion et respect son cri. Parce qu'il ne s'est pas assoupi à son poste de sentinelle, il est de ceux qui font reculer les hommes qui génèrent, en oubliant ou en méprisant leurs droits, le malheur des autres.

     

     

     

     

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    Remise du prix Ludovic-Trarieux

    Discours de M. Georges TONNET, Bâtonnier de l’ordre des Avocats de BORDEAUX*

     

     

    Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

    C'est, pour le Bâtonnier de Bordeaux en exercice, un immense honneur de vous accueillir à nouveau, pour la 5ème fois, dans notre ville à l'occasion de la remise du prix Ludovic-Trarieux à notre Confrère ZHOU GUOQIANG, représenté par Monsieur LIU QING, dirigeant d'HUMAN RIGHTS IN CHINA.

    Créé en 1984 à l'initiative de l'Institut des Droits de l'Homme du Barreau de BORDEAUX et de son Président, Monsieur le Bâtonnier Bertrand FAVREAU, ce prix distingue un de nos Confrères, Avocat, sans distinction de nationalité qui a illustré, par son œuvre, son activité et ses souffrances, la cause des Droits de l'Homme et de la défense.

    Il appartiendra, tout à l'heure, aux différents intervenants qui me suivront, de dire combien la lutte et les souffrances de notre Confrère ZHOU justifient la distinction qui a été faite de son cas par le jury de notre prix, parmi d'autres situations, tout aussi dramatiques et de combats tout aussi remarquables à la cause des Droits de l'Homme.

    Choix difficile, s'il en fut, pour le jury, cruel par bien des aspects, tant il est dur d'opérer un classement dans la souffrance humaine.

    M'autorise t-on à faire retentir, dans cette enceinte, le nom de mes Confrères qui avaient été signalés à l'attention de notre jury et qui n'ont pas été retenus.

    Ce sera, par le simple appel de leurs noms, sans distinction d'origine, l'expression du confraternel, salut et hommage du Barreau de Bordeaux:

    * JUMA KIPLENGE,

    * MOHAMED AREF,

    * AKTAM NOUAISSEH,

    * ESBER YAGMUDERELI,

    * SEVIL DALKILIC,

    * FATIMATA M'BAYE,

    * BRAHIM OULD EBETTY,

    * WALDO ALBARRACIN,

    * RIAD AL TURK.

     

    Je voudrais dire ici combien les avocats bordelais, et notamment ceux qui militent au sein de l'Institut des Droits de l'Homme, sont attachés au prix que nous remettons aujourd'hui.

    On pourrait se poser la question de savoir ce qui justifie que le Barreau de Bordeaux, qui n'est ni le plus grand, ni le plus prestigieux, et ne revendique rien à ce titre, ait créé un prix international des Droits de l'Homme.

    Je suis tenté de répondre Rien … et ce rien justifie tout.

    La cause des Droits de l'Homme et des libertés n'est incontestablement pas l'apanage de certains.

    Elle est l'affaire de tous.

    Elle ne se mesure pas à l'aune de l'importance du pays, de l'institution ou de la notoriété des hommes qui en font la promotion.

    Les hommes de 1789 avaient installé aux frontières de la FRANCE des panneaux : "Ici, commence le pays des libertés".

    C'était incontestablement bien, surtout en considération du contexte de l' époque.

    C'était cependant réduire la cause des libertés à une considération géographique et politique.

    Nul ne peut confisquer la cause de l'homme.

    On dit encore souvent que la FRANCE est le pays des droits de l'homme.

    Nous en concevons une légitime fierté.

    Mais mesure-t-on tout ce que cette formule gratifiante implique de devoirs et d'exigences sur le plan politique.

    Nombreux sont ceux qui ont amèrement ressenti la désillusion de WEI JINGSHENG lors de son passage à PARIS en janvier dernier et ses propos renvoyant notre pays à certaines de ses incantations en matière de droits de l'Homme.

    Même un pays ne peut confisquer la cause de l'Homme.

    Le Barreau de BORDEAUX, qui est une institution qui n'est ni meilleure, ni pire qu'une autre, n'a bien sur de leçon à donner à personne en ce domaine.

    Il prend simplement le prétexte de ce rendez-vous tous les deux ans, pour rappeler à ceux qui veulent bien l'entendre et aussi, avouons-le, pour se le rappeler, a lui-même, que la cause des Droits de l'Homme et leur défense est loin d'être un fait acquis en cette fin de siècle ; que ce qui peut nous paraître évident en matière de droits fondamentaux de la défense ici, n’est pas la chose la mieux partagée au monde ; que des Confrères, Avocats, sont, en ce moment, emprisonnés, bâillonnés, meurtris dans leur chair, atteints dans leur famille et qu'il est de notre devoir de le rappeler.

     

    Comme il était de notre devoir il y a deux ans, et comme il est malheureusement encore de notre devoir de hurler qu’à a quelques encablures méditerranéennes de nos bateaux de plaisance sur la Côte d'Azur, un peuple est assassiné pour des raisons qui défient la raison, des villageois égorgés, des femmes enceintes éventrées ... et qu'on l'accepte partout .... et ailleurs .... et ici, à BORDEAUX, où des écrans spécialement installés, pour la circonstance, dans une salle d'audience ont montré récemment d'autres crimes, d'autres massacres, de la même nature consubtantiellement négatoire de l'Etre humain.

    En un temps et en un monde où les philosophes et sociologues dépeignent le dépérissement du politique, l'abandon des référents idéologiques et religieux au profit de ce qu'il est convenu d'appeler la sphère individuelle ou personnelle ; en un temps et en un monde ou les valeurs sociales et altruistes (n'ayons pas peur des mots) semblent être abandonnées au profit du culte de l’épanouissement personnel dans le cadre de l'éthique de l'authenticité, trouverons-nous encore la force de nous mobiliser pour la cause des Droits de l'Homme ?

    Et pourtant, ceux qui souffrent regardent vers nous et leur combat est le nôtre, en ce sens qu'il est pour l'homme.

    ZOLA avait écrit au Capitaine DREYFUS, à son retour de l'Ile du Diable : " je vous adresse, du fond du cœur, tout mon fraternel salut, pour ce que vous avez souffert pour nous ".

    Au nom du Barreau de Bordeaux, j'adresse à notre confrère ZHOU GUOQIANG notre confraternel salut pour ce qu'il a souffert et continue à souffrir pour la cause des Avocats.

    Georges TONNET

    *Vendredi 2 octobre 1998 Amphi de l'Ecole Nationale de la Magistrature-

     

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    Remise du " Prix international des Droits de l'Homme Ludovic-Trarieux " à Monsieur Zhou Guoqiang, avocat chinois.

    Bordeaux 2 octobre 1998

    Discours de Me Christian Roth,

    Président de l’Union des Avocats Européens.

     

    Les années passent et nous nous retrouverons réunis à Bordeaux à l’initiative de l'Institut des droits de l'homme du barreau de Bordeaux, organisateur de cette cérémonie de remise du prix international des droits de l'homme " Ludovic-Trarieux ".

     

    Les années passent en effet

     

    et elle passe depuis tellement longtemps pour ces hommes et ces femmes à la quête de leurs droits que l'on s'est souvenu récemment que 50 ans nous séparent déjà de cette date du 10 décembre 1948 où l'Assemblée générale des Nations Unies, exceptionnellement réunie à Paris au palais de Chaillot, adoptait la Déclaration Universelle des droits de l'homme.

     

    Les années passent

     

    et depuis plus de dix ans déjà l'Institut des droits de l'homme du barreau de Bordeaux continue de proposer des " candidatures " pour l'attribution du prix international des droits de l’Homme " Ludovic-Trarieux ".

     

    Terribles vocabulaire que celui qui affuble du terme de "candidat" celui qui probablement s'en passerait volontiers.

    Les années passent

    et cette année, alors que nous sommes en pleine "Saison" des Droits de l'Homme et que le Premier ministre de ce pays est en voyage officiel dans un grand pays de l'autre côté du globe, nous décernons un Prix international des Droits de l'Homme à un ressortissant de ce pays dans lequel le Premier ministre de la France rend actuellement une visite officielle.

     

    Paradoxes que ce combat mené pour les droits de l'Homme

     

    quand à Bordeaux on décerne un prix des droits de l’Homme à ZHOU GUOQIANG, avocat chinois,

     

    et qu'ailleurs, le Premier ministre de ce pays, qui le 26 août 1789 avait proclamé la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, parle lui aussi des droits de l'homme à Pékin.

     

    Paradoxe aussi que de ces cérémonies quasi rituelles que l'on organise, que l'on prévoie, que l’on planifie, que l'on imprime et auxquelles on donne l’écho nécessaire,

    que ce soit dans le cadre d'une "Saison des droits de l'homme" comme au cours de chaque saison, qu’elle soit des droits de l'Homme ou qu'elle ne le soit pas.

     

    Le sujet, tout le monde le sait, est parfaitement connu.

     

    Les Droits de l'Homme, tout le monde en parle par bonne conscience, par confort intellectuel, pour l'image de marque et l’éducation vertueuse des autres.

     

    Les Avocats, eux, ont une autre façon de parler des Droits de l'Homme.

    Ils en parlent à la première personne,

    soit parce qu'ils défendent la personne persécutée en raison de ses opinions de sa race, de son sexe, le sa langue ou de sa religion,

    soit parce que la persécution s'exerce sur eux parce qu’ils ont fait profession de Défendre.

     

    Si aujourd'hui il est utile de réfléchir aux nouvelles formes de violations des droits de l’Homme découlant des technologies modernes - on parle des droits de l’Homme de la troisième génération - il existe toujours la lancinante question de la protection et de la sécurité des défenseurs des droits de l'homme.

     

    L'avocat, pourfendeur des violations des droits de l'homme, ancienne manière ou nouvelle manière, reste celui dont la parole est libre et qui porte au-delà des prisons, de la torture, de la privation et de la persécution.

     

    Cette parole, elle se répète, elle s’égrène, elle s'amplifie, elle se diffuse, elle se propage, elle est contagieuse.

    C'est la parole de l’Avocat.

    Elle s'appuie sur le respect du Droit, ce même Droit sur lequel les violeurs des droits de l'homme prétendent avoir bâti leur légitimité.

     

    C'était à ce titre que l'union des avocats européens, depuis sa fondation, tient à doter le

    prix international des droits de l'homme " Ludovic-Trarieux ".

     

    ZHOU GUOQIANG - même si ou aujourd'hui vous n'êtes pas parmi nous de crainte que les autorités chinoises ne vous laisse pas revenir dans votre pays - vous êtes le Défenseur.

    Votre défense est conçue comme celle de l’avocat militant du droit des travailleurs.

     

    Tour à tour,

    vous luttez contre l’embrigadement des travailleurs parce la création d'une Fédération autonome des ouvriers de Pékin,

    vous vous portez à la tête d'une grève d'ouvriers contre la loi martiale de mai 1989,

    vous êtes le conseil de chauffeur de taxi qui protestent contre leurs conditions de travail,

    vous êtes l'avocat de HAN DONGFANG, leader syndicaliste autonome,

    et vous êtes un des fondateurs de la ligue pour la protection des droits des travailleurs.

     

    Il est pénible de faire la liste de ces combats que vous menez dans cette République populaire de Chine, dont les dirigeants actuels prétendent être les héritiers d'une pensée qui, au siècle dernier, avait mis au centre de sa préoccupation la lutte des travailleurs contre l'exploitation du Capital.

    ZHOU GUOQIANG – nous l'avons compris - vous défendez la liberté, la liberté du choix, la liberté de la libre pensée, la liberté, s'il le faut, de n’être pas travailleur, bref ce droit inaliénable de l'homme de décider de son propre destin.

    C’est vous, l’Avocat, qui revendiquez cette liberté pour les autres d'abord et pour vous aussi.

     

    Parce que votre combat est exemplaire, parce que comme tant d'autres vous payez dans votre chair et par votre vie cet engagement de liberté au nom de la défense des Droits de l'homme,

     

    pour toutes ces raisons, nous voulons dire et nous reconnaissons publiquement les mérites de votre combat.

     

    Si les cérémonies se suivent et qu'elles ont cet aspect du rituel, - je dirai presque morbide -,

     

    combien de fois avons-nous déjà remis un prix à un lauréat absent,

     

    ou combien de fois, excusez-nous d’en parler, avons-nous dû examiner des dossiers de "candidats " dont nous apprenions que la voix avait été étouffée définitivement, et que ce ne serait peut-être plus qu'à titre posthume qu'on pourrait leur décerner un prix,

     

    c'est donc pour ces raisons,

     

    parce qu'on aujourd'hui vous être absent mais que demain vous serez présent comme Najib HOSNI, il y a deux ans, comme Nelson MANDELA, il y a dix ans,

     

    et comme tant d'autres que nous devons soutenir au loin mais aussi très près,

     

    que nous disons, avec Montesquieu, que "la liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent".

     

    L'Avocat est là pour rappeler au pouvoir que ce que la loi - la Déclaration Universelle des droits de l'Homme - permet, les gouvernements ne peuvent le proscrire.

     

    Tant qu’il y aura des gouvernements, ou toute autre forme de pouvoir, qui proscriront ce que la loi permet, il est de notre devoir – et même si les années passent et que les cérémonies restent rituelles - de soutenir jusqu'au dernier de ce qui proclament que la Défense est l’essence de la liberté.

    Christian ROTH

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    LIU quing, Robert Badinter et Bertrand Favreau

     

     

     

    Prix Ludovic-Trarieux 1998

     

    Discours de Louis-Edmond PETTITI,

    Juge à la Cour européenne des Droits de l'Homme de Strasbourg

     

    La cérémonie d'aujourd'hui me permet évoquer quelques séquences concernant les hommages rendus aux pionniers et aux défenseurs des droits de l'Homme. L'attribution de prix par des jurys de prestige a été une des marques de ces témoignages de reconnaissance. Cependant avant la date de création du

    prix Trarieux des organisations non gouvernementales s'interrogeaient sur la portée et l'efficacité des Prix des Droits de l'Homme.

    En un premier temps à partir de 1950, les prix avaient surtout pour finalité de consacrer la figure et l’œuvre d'un des grands fondateurs de la doctrine du droit international des droits de l'homme tel René Cassin ou John Humphrey.

    En un deuxième temps, les hommages adressés à des leaders d'ONG, en respectant un peu trop l'équilibre de la guerre froide. C'est ainsi qu'une même grande personnalité a été honorée à Moscou et à Oslo mais pour des motifs quasi-antagonistes. Depuis 1974, les prix se sont orientés vers des militants d'exception afin d'encourager l'action des 0 N G. Cette politique volontariste en a été remarquablement perçue par les groupes proches des victimes de violations et par les dirigeants des instituts humanistes et humanitaires.

    Après la chute du mur de Berlin, 20 le temps des exceptions. La fin de la guerre froide avait sans doute réduit dans le monde les violations massives et symptomatiques des droits fondamentaux mais n’avait pas empêché la résurgence de la barbarie. Territoire de l'ex -Yougoslavie, Rwanda marquaient un terrible recul de la situation des droits de l'homme. Il fallait alors redonner confiance à la fois aux Militants et aux leaders des actions de défense des droits contre les régimes oppresseurs. Le prix Trarieux a dans cette voie procédé aux meilleurs choix.

    Je formulerai une deuxième réflexion. À une époque où les plus jeunes de nos sociétés se retrouvent sans repères et sans référence aux principes fondamentaux, sans critères de réflexions philosophiques ou religieuses, l'effet emblématique de l'attribution des Prix est positif, au-delà même de la personne élue ou du mouvement qu'elle représente. Le besoin d'originalité qui anime les adolescents trouvent un réconfort dans des carrières hors du commun même si leurs auteurs ne sont pas reconnus comme modèles au plan éthique.

    Mon troisième commentaire sera plus proche de la consécration apportée aujourd'hui à notre lauréat chinois.

    C'est un pas important pour nos instituts et pour nos jurys que de mieux prendre en compte la société chinoise contemporaine, son mouvement d'opposition. Nous le faisons désormais avec réalisme et espérance. Certes, la pression internationale ne fait pas céder la Chine. Au lendemain de la visite officielle de madame Mary Robinson, il y a même eu un raidissement politique. Mais quelques signes positifs se font jour. Ainsi, le nouveau Code de procédure pénale, la référence à la présomption ne d'innocence.

    Le mérite des "dissidents" est de ne pas négliger les courants internes. Nous avons reçu pendant un an à Strasbourg et Paris des jeunes juristes chinois de diverses tendances. Certes captés par nos principes dans le domaine des droits de l'homme, mais restant conscients de l'univers chinois. Le message ne peut être reçu à l'identique en Andorre ou Saint Marin et en Chine. On sait qu’à l'échelle de plus d'un milliard d'hommes les réformes peuvent avoir des effets "boomerang". Souvenons-nous de la bataille au temps de Mao contre les oiseaux et les désastres qui en sont résultés. La relève des générations dans le sillage de monsieur Zhou aura lieu, non en plaquant des institutions d'Europe continentale mais en les transposant et en puisant des ressourcements dans l’œuvre des penseurs chinois issus du Confucianisme et sachant le dépasser.

    L’Homme au sein d'un tel peuple ne peut être individualiste, il doit s’ancrer sur la solidarité. Notre doctrine n'est-elle pas au sein de nos Institutions en droit de l'homme de privilégier les droits d'autrui. ?

     

    Louis-Edmond PETTITI

     

     

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    DISCOURS DE M. BERTRAND FAVREAU, Président de l’IDHBB*

     

    " Homo sum : nihil humanum a me alienum puto "

    Térence, " L’Homme qui se punit lui-même " (I, 1, 25).

     

     

     

    Sans doute, aurions nous préféré qu’il vînt. Mais telle est la nature de ce prix que depuis qu’il existe nous avons déjà vécu à trois reprises des instants semblables. Sans doute les autorités chinoises auraient-elles fini par consentir à lui donner ce passeport attendu pour lequel nous avons œuvré. Ce n’aurait été que le viatique de l'exil. Nous ne l'avons pas voulu. Ce Prix n’a pas pour objet d’ajouter aux souffrances. Finalement il est bien qu'il ne soit pas venu. L’hommage à l’absent n’en sera pas moins réel et fervent. Ne sommes nous plus libre d’évoquer ses souffrances sans rouvrir devant lui des blessures encore vives, sans risquer d’altérer par des louanges prématurées un combat toujours en devenir. Depuis la création de ce Prix personne n’a songé à "féliciter " les "lauréats " qui nous apportent chaque fois leur cortège de souffrances. Pourtant, ironie du sort. C’est vous, Monsieur, qui avez souffert autant et même plus, qu'il a désigné, Vous, l’ami qui a connu l’exil forcé, pour recevoir ce prix à sa place. (C’est pour ne pas connaître ce sort que Zhou Guoqiang a renoncé à sortir du territoire chinois malgré nos démarches en ce sens, malgré les efforts conjugués de tous ceux qui ont été tour à tour sollicités. C’est pour continuer à exercer sa profession à Pékin qu’il n’a pas quitté la ville où il se préoccupe du malheur des autres.) Et nous sommes hautement conscients que tout ce que nous allons dire de lui nous pourrions aussi le dire à votre intention puisque Zhou Guoqiang a été le compagnon de captivité de votre frère qui est toujours détenu à l’heure où nous parlons et que c’est ici " son ami " que nous recevons autant que le dirigeant d’une importante organisation non gouvernementale qui a pour objet la promotion des droits de l’homme en Chine, Human Rights in China. Que votre venue à Bordeaux soit l’occasion de célébrer la fraternelle amitié que vous représentez ici ! Au-delà de l’apparente solennité de ces instants, percevez d’abord la sympathie qui préside à notre accueil d’aujourd’hui. Après tout, un proverbe chinois n’indique-t-il pas : "le cérémonial est la fumée de l’amitié ".

    Sans vous, peut être l’aurions nous oublié, nous aussi, cet " archipel " lointain. C’est désormais un lieu commun de le dire. Le silence s’est fait trop longtemps. Il aura fallu Jean-Luc Domenach pour nous rappeler en 1992 qu’à l’heure ou le goulag soviétique s’effondrait, le goulag chinois survivait. Qui se soucie de ce qu’il ait été après tout, et demeure, quelle que soit la querelle sur les statistiques, le plus grand complexe concentrationnaire de tous les temps. Qui se soucie que la peine de mort y soit encore pratiquée à la cadence de plusieurs milliers par ans ? Cet empire qui n’a rien de céleste pour les défenseurs des droits de l’homme a un nom dont la phonétique ne cache pas les récurrences,  ce qui tendrait à prouver que les frontières linguistiques peuvent s’abaisser lorsqu’il s’agit de répression : le laogaï, comme il y eut le lager et le goulag . Certes, nous dira-t-on, il s'agit pas de mort mais de rééducation. Il s'agit de façonner et un homme nouveau. Mais il s’agit de cet homme "sans âme, dépourvue de personnalité et de morale" dont nous a déjà parlé Hannah Arendt. En vous recevant ici, vous qui, comme Zhou Guoqiang en avez réchappé, nous ne pouvons nous empêcher de nous poser publiquement une question : Notre siècle saura t’il détruire, avant sa fin prochaine, le laogaï comme il semble parvenu à détruire – péniblement et au prix de quelles affres !  – le lager de Primo Levi et de tant d’autres et le goulag de Soljenitsyne , après les avoir engendrés?

    Ne pas en parler, accepter que tout cela soit (presque) du passé et que tout est en train de changer sous réserves de quelques divergences d’interprétation, c’est vouloir ne pas savoir et accepter l’oubli. Ne pas en parler ou ne plus en parler ce serait accepter plus que l’oubli, ce serait accepter que cette vérité soit à jamais enterrée, enterrée sous le jade comme ces sépultures de Liangzhu qui recouvrent entièrement le cadavre pour leur assurer un ensevelissement éternel. A proprement parler il ne s'agirait pas d’oubli, ce serait une amnésie ou une amnistie au nom de l’intérêt de l’économie ou du commerce. Avec Zhou Guoqiang, avec Liu Qing, avec Wei Jingsheng, ensemble, refusons cette liberté ensevelie à jamais sous un linceul de jade.

    A certains, le discours des droits de l’homme pour être universel apparaît galvaudé : une inlassable répétition de thèmes et d’idées quelque peu surannés. Un psittacisme qui leur ferait croire qu’il y a tant de bonnes volontés pour défendre la cause que la pléthore peut paraître en épuiser la substance. Ainsi, aujourd’hui dès que l’on parle du plus vieil empire du monde, tandis qu’il y a ceux qui conservent intacte l’espérance, qui reprennent ces idées pour lesquelles tant d’autres ailleurs sont morts depuis des siècles, - ceux que dans tous les pays on appelle les " combattants de la liberté " - il en est d’autre qui, au contraire, font la fine bouche, comme si la Chine obéissait à une prédestination (mais ne nous disait-on pas cela aussi pour la Russie des tsars si différente ?). Comme si la Chine obéissait à une fatalité quatre fois millénaire. Comme si le sort des autres était scellé une fois pour toute, par la soumission, par l’abandon, par la tradition).

    D’abord, il y aurait le droit à la différence. Ces " droits de l’homme " après tout ne seraient qu’une conception occidentale, les grandes libertés d’une civilisation d’essence bourgeoise, si individualistes et tellement idiomatiques qu’elles seraient inadaptées et intransposables. Des produits de luxe qui ne s’exportent pas. Terrible contre-pied dialectique des dirigeants chinois. Comment les défenseurs des droits de l’homme dont l’essence du combat est justement le respect de la différence, le respect dû à l’autre pourraient ils répondre à un tel argument  sans se renier ? Oui, la Chine nous le savons est différente. La Chine est un monde à elle seule. Et pas forcément parce que ses habitants ont trop longtemps pensé qu'elle était "la seule civilisation sous le ciel ". Nous le savons bien depuis longtemps. Sans remonter aux récits de Marco polo, n’avons nous pas la vision plus récente et très française du père Huc qui, au milieu du siècle dernier, nous a tant parlé "des mœurs extraordinaires des chinois, de "ce singulier pays ", de "ces étonnants chinois ", ce "peuple curieux… " et il a, comme d’autres, tellement contribué à enraciner l’idée que "les Chinois n’aiment pas à s’occuper de politique, ni à s’intégrer dans les affaires du gouvernement... " que l’on en serait presque venu à croire définitive cette providentielle tradition pour les gouvernants.

    Mais, dira-t-on encore, le père Huc, était un occidental d’abord et un gascon de surcroît, né à Caylus, hâbleur et parfois imaginatif qui n’était peut être pas –soit ! – un parangon de rigueur. Est-ce à dire qu’en Chine, la différence exclue la diversité ? Près de deux mille ans avant, Machiavel, les conseils de bonne administration du prince Shang , le " Shangjun shu ", " le livre du prince Shang " enseignait : " Le bien être du pays ne repose pas nécessairement sur un modèle unique."

    Et cette différence, nous dit-on, serait faite de traditions immuables et du poids d’une histoire quatre fois millénaire. Aussi loin que l'on se retourne la Chine a toujours été gouverné par des régimes despotiques. D’ailleurs il y a vingt cinq siècles et plus, Lao Tseu n’enseignait-il pas au chapitre LX du Tao tö King que l’ " on doit régir un grand état comme on fait frire un petit poisson ". Précepte sibyllin qui selon Etiemble et d'autres connote la prudence et signifierait que quiconque remue trop la friture risque de la mettre en miette. Mais qui ne change rien quant au sort final du goujon. Quant au légiste du Han Feizi, il semble mettre clairement en garde contre le peuple souverain :

    " Dès lors que prince et sujet inversent leurs rôles,le pays ne connaît plus ni ordre ni paix ".

    D’ailleurs la vie politique des Ming n’était-elle pas féroce et implacable ? La fatalité toujours - nous connaissons ce type d'argument applicable un instant à tous les pays et qui nourrit tous les renoncements.

    La Chine n’est elle pas justement le meilleur exemple pour scander une fois de plus que les droits de l’homme sont " universels et indivisibles "? Et, la Chine, immense, ne serait-elle donc pas plurielle ? Les vieux proverbes qui puisent leur substance dans les tréfonds de l’âme chinoise n’ont-ils pas toujours enseigné les préceptes de la sagesse pluraliste: "Consulter les autres et ce qui a la plus grande valeur" ou encore "le sage n’a pas l'esprit rigide, il épouse celui du peuple." Pourquoi dès lors l’autre tradition qui sommeille dans le cœur de tout homme serait-elles étrangères à la Chine celle de la démocratie et des droits de l'homme ?

    Les droits de l'homme - à la fin du siècle dernier - Kang Houwei en faisait un des fondements de sa philosophie. N’exposait-il pas que la pensée chinoise vivait sur une tradition culturelle falsifiée par les " faux classiques " et cela depuis l'époque des Song et des Ming. Et la première république ne fut-elle pas un mouvement pour les droits de l'homme contre la terreur blanche du Guomintang ? N’a t’on pas vu naître, en 1932, - 34 ans après la nôtre, - dont nous fêtons le centenaire - mais qui avait elle-même attendu plus d'un siècle avant d’éclore, - la " Ligue chinoise pour les droits des citoyens " qui mobilisa l’élite de son temps de Cai Yuanpei, à Song Quingling et à Lu Xun et tant d’autres. comme la nôtre, elle eut ses martyrs et notamment Yan Quan, en 1933, onze ans avant Victor Basch. Et cette tradition là n’est pas restée sans postérité.

    Dans le calendrier agricole, les Chinois ont un nom pour certains jours de l' année. Le seizième jour du deuxième mois c'est le 5 avril il s'appelle qing ming, " limpidité et clarté ". Pour ceux qui l’ont vécu, ce 5 avril 1976 est jour de lumière. Depuis longtemps c’est une date objet de commémoration. Ce fut le titre d'un journal qui eut un rédacteur illustre en la personne de Liu Qing. Sans doute est-ce là que l'on situera un jour l'origine du grand rêve de démocratie et de prospérité lorsqu'elles seront un jour la réalité de la Chine. Pourtant, ce jour où un cortège a transformé l’hommage aux mannes de Zhou Enlaï mort trois mois plus tôt, en une manifestation, il y eût des centaines de morts. C'est le premier carnage moderne de la place Tienanmen. Cette fois encore, le gouvernement chinois a mis en œuvre sa politique : " faire mourir deux cents personnes pour avoir vingt ans de paix ". Cette politique a un autre nom : "saigner un poulet pour effrayer cent singes".

    Les singes n’ont pas eu peur bien longtemps. Deux ans et demi plus tard apparaissait le premier Dazibao. En quelques semaines, le mur de briques grises long de deux cents mètres s’est recouvert de feuilles de tout format, de toutes les couleurs, depuis la sérigraphie d'artistes et jusqu'aux photocopies noirâtres. Newton déplorait que les hommes " construisent trop de murs et pas assez de pont ". Ce mur là pourtant rapprochait les hommes et leur permettait de communiquer. Il lançait un même cri, celui qu’exprimera "La Tribune du 5 avril " : "Nous voulons les droits de l'homme et la démocratie." Cela aussi c’est une tradition de la Chine. Mais une tradition politique pas plus qu’un " bol de nid d’hirondelles " ne fait pas le printemps. Surtout à Pékin.

    Cette année là,- c’était il y a neuf ans - le printemps a duré plus d'un an. Il n'avait pas commencé comme les autres, le 26ème jour du douzième mois, mais le neuvième jour du dixième, celui que les paysans chinois appelle (xiao xue) "petite neige" jusqu’à. ce jour de notre mois d'octobre suivant que l'on appelle "gelée blanche" (shang jiang). Le 5 décembre précédent Wei Jingsheng, avait cruellement pris au mot le vieux Deng, relevant le défi des quatre modernisations, il avait demandé que l'on ajoute à cette nouvelle bande des quatre, une cinquième, claire et limpide comme le jour du 5 avril: la démocratie. Le 16 octobre de l’année suivante, il a été condamné à quinze ans de prison. Le 11 novembre suivant, " La Tribune du 5 avril " a diffusé l’intégralité des minutes du procès polycopiées. Liu Qing a son tour sera condamné à dix de prison. Le mouvement était amorcé, il ne s’arrêtera pas.

    Dix ans plus tard, au surlendemain de la mort de Hua Yaobang,, sur la place TienanMen, on criait : " Vive la démocratie " " Vive la liberté ". On chantait la Marseillaise en déployant des banderoles annonçant " 1989 Chine = 1789 France" . Le 4 juin, sur la place ou dans les rues avoisinantes, peu importe, il y aura deux cent morts. Mille selon Amnesty. On ne saura jamais.

    Tout cela aujourd’hui il faudrait l’oublier comme un balbutiement sans lendemain ? Il y aurait le primat de l’économique. Les maîtres du pays nous le disent : le premier des droits de l’homme dans un pays de plus d’un milliard d’habitants, c’est le droit de ne pas mourir de faim. Habile retournement pour qui connaît l’ample débat doctrinal qui habite nos droits de l’homme depuis 1789 et 1793. Là pourtant, Simon Leys comme Wei Jingsheng ont déjà répondu. " Qu’on ait empéché les esclaves et les serfs de mourir de faim et de froid prouverait donc que leur propriétaire faisaient preuve du plus grand respect pour les droits de l’homme ? " Ainsi, l’échec économique répété pourrait-il devenir pour les autocrates un moyen de maintien au gouvernement et justifier toujours un renforcement de leur pouvoir ?

    Ce serait l’autarcie qui a sévit depuis le milieu des Mings jusqu’à la guerre de l'opium qui a fait de le chine un pays pauvre et arriéré ou sévissait l’obscurantisme. Le baron Gros écrivait déjà en 1858 à Napoléon III : " La Chine s’ouvre […] au commerce et à l’industrie des nations d’occident " Participer au décollage économique deviendrait alors le seul moyen de voir jaillir la lumière et de permettre l’essor des libertés ? La question est complexe et ce n’est pas ici que l’on y répondra. Les 30 000 étudiants qui bivouaquaient en 89 sur Tienanmen et le million de Pékinois accourus pour les soutenir ont refusé cette logique mercantile. Ils n’adoraient pas un veau d’or mais une statue de polystyrène  "la "déesse de la Liberté ". Ce n'est pas une idée nouvelle. Libre à ceux qui le croient ou veulent le croire de penser que mieux vaut le dialogue et l’échange commercial. Ils n’ont jamais fait que conforter les tyrans et assurer plus longtemps leur maintien au pouvoir. Quant au lien mécanique qui ferait du développement économique un générateur de liberté , n’en connaissons nous nous pas certaines tristes leçons. Comme celui de cette firme célèbre de cognac. N’a t’elle pas aidé la Chine à mettre en place son industrie du vin ? N’a t’elle pas commercialisé ses raisins ? Sur l’étiquette le consommateur pouvait lire le nom à la phonétique chantante "nui-d’chine-nuit câline ". C’étaient les raisins produits dans les camps de rééducation par le travail.

    Un autre proverbe chinois ne dit-il pas : " Le poisson est ce que je désire ; les pattes d’ours sont aussi ce que je désire. Lorsque je ne peux avoir les deux, je préfère les pattes d’ours au poisson. De même je chéris la vie et aussi la justice. Si je ne peux avoir les deux, je préfère la justice à la vie ".

    C’est cette exigence de justice chevillée à l’âme collective dont la sagesse est capable d’enseigner " La justice ou la mort " qui a fait de Zhou un avocat. Belle vocation. Il n’a pas embrassé un état, il en est venu à exercer une profession qui présentait au regard de son combat la force de l’évidence. Il n’est pas un de ces vingt milles avocats recensés par l’organisme d’état " All China Lawyers " qui n'avait encore il y a peu pour activité principale que de faire accepter leur condamnation par leurs clients. Lorsqu'il a participé au premier rang à la création de l'Union autonome des ouvriers de la capitale, syndicat non gouvernemental, quel était son slogan: " Envoyer la tyrannie en enfer... …renverser la dictature et le totalitarisme ".

    Lui, l’électricien de l’usine Baï-Hua, a du passer ses examens de droit parce que ‘il était déjà naturellement le défenseur des ouvriers, des chauffeurs de taxis qui voulaient profiter de toutes les ressources d’un droit incertain pour exercer leur droit de grève, des humbles spoliés qui voulaient porter plainte contre les puissants dignitaires du parti. Mettant sa connaissance du droit au service des autres, il n’est devenu défenseur que pour donner plus de force à son combat pour la liberté. Ainsi Zhou est-il devenu avocat. Parce que pour lui la défense était la sœur jumelle de la démocratie, Zhou a choisi le dazibao judiciaire.

    Lors de sa dernière apparition devant pas un Tribunal, Zhou a déclaré : "Les détenteurs actuels du pouvoir en Chine qui sont hostiles à la classe ouvrière peuvent me priver de liberté ou même un jour de ma vie…un jour viendra où le mouvement libre des travailleurs de Chine aura une force telle qu’il ne pourra plus être ignoré " Comme le disait Oscar Wilde : " Lorsqu'on dit la vérité, on finit toujours par être démasqué ". Il a été condamné à 4 ans de camp de rééducation par le travail.

      C’est cette tradition vivante de la Chine que nous honorons aujourd’hui en Zhou Guoqiang parce qu’il est avocat mais aussi au même degré en Liu Qing, comme en Wei Jingsheng et tous leurs compagnons de route, martyrs d’un même combat. Le 27 mai 89, au plus fort des événements de Tienanmen, le syndicat autonome créé par Zhou et Han Dongfang a distribué dans les rues de Pékin un tract. Il disait : " C’est la lutte finale, groupons nous et demain, nous pourrons ensemble aller au devant d'une société libre et démocratique".

    Nous le savons en cette année où l’on célèbre non seulement le 50 éme anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme , le centième anniversaire de la fondation de la Ligue des droits de l’Homme, mais aussi le 450° eme anniversaire (si l’on en croit la datation de Montaigne) du Discours sur la servitude volontaire. Nous le savons avec La Boetie, " la première raison de la servitude volontaire c’est l’habitude ", et " les hommes supportent des tyrans qui n’ont de puissance que celles qu’ils leur donnent "

    Et - pour une fois - l’on se prend à être d’accord avec ceux qui croient que ce n’est pas de la stricte imitation du modèle occidental que viendra le salut de la Chine. C’est du peuple chinois que viendra sa propre liberté. Le vent s’est levé. Il ne vient pas de l’Ouest. Il souffle du cœur de la Chine et comme les empereurs au moment du sacre, il regarde désormais vers les quatre points cardinaux. Zhou, poète, a voulu que figurent sur le recueil qu’il a publié en 1988, des poissons. Ce ne sont plus les poissons de Lao Tseu, de même que le Chinois de 1999, n’est plus le Chinois de 1919, de 1949, celui de 1979 ou celui de 1989. Pour Zhou, le poète, ce sont les poissons qu’évoquait un autre poète, Wang T’chen Tche, lorsque au début de ce siècle, il composait un recueil intitulé " Au bord du lac d’Ouest " :

    " Le saule au bord du lac d’Ouest,

    Penche sa tête sur l’eau.

    Le vent vient.

    Le saule dit :

    " Ne me dérange pas,

    je veux écouter le chuchotement des poissons "

    Comme le saule sage et solitaire, nous sommes las du grésillement de la friture, nous voulons écouter aujourd’hui le chuchotement des poissons. Dans tous les pays, y compris le nôtre, la liberté a d’abord été un murmure.

    Bertrand FAVREAU

    *(Discours prononcé dans le Grand Amphithéâtre de l'Ecole Nationale de la Magistrature, le 2 octobre 1998).

     

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    Speech by ZHOU Guoqiang In acceptance of the
    " Ludovic-Trarieux " International Human Rights Prize 1998

    October 2, 1998

    Extraits du discours de ZHOU Guoqiang,

    lu par Liu Qing, president d’HUMAN RIGHTS in CHINA


     

    Today, I am honoured to entrust one of China's veteran and distinguished human rights campaigners and director of Human Rights in China, Liu Qing, to receive the honour you have bestowed on me. The Ludovic Trarieux Prize is, in my view, an important encouragement to all those involved in the Chinese Democracy Movement and I would like to take this opportunity to express my heartfelt gratitude. The struggle for human rights in China does indeed require the close attention of all those in the international community concerned with human rights and I feel profoundly moved by your support.

    In China, freedom of movement is restricted. The system of permanent residence registration, in operation for several decades, has helped to further divide the Chinese population into rural and urban citizens. China's rural population, besides being permanently fettered to the land in order to make a living, is also forced to take part in "voluntary labour". The essence of this so-called "voluntary labour" is serfdom, yet to date, the issue has not received the attention it warrants.

    In China, workers do not have the right to organise free trade unions. Only recently, Hunan-based labour activist Zhang Shanguang was arrested and charged with "conspiring to overthrow the government" after he organised a signature campaign in support of the right to organise. Three years ago, labour activist Liu Nianchun, was sentence to three years' "re-education through labour" after applying to establish the "League for the Protection of the Rights of Working People"; he is still incarcerated today. Five years ago the case of the Free Labour Union of China reached its conclusion when Hu Shigen, Liu Jingsheng and 16 others were charged. Hu Shigen received the heaviest penalty of 20 years in prison. The deprivation of the right to organise and the monopoly of a government department over trade unions has not changed for decades and today the treatment of workers remains unjust.

    China's legal system does not work. The departments which should, in accordance with the law, independently perform the functions of the judiciary, the procuratorate, trial procedures and investigation are monopolised and dominated by China's ruling party. The litigation procedures currently in effect in China are not restricted to the courtroom and judicial process. The real decisions are taken outside the courtroom thereby reducing the court's verdict to the status of a mere decoration. Given these procedures, the judge or judges come into contact with those involved outside the courtroom, making supervision impossible and rendering bribery an all too convenient option. The resulting widespread corruption of the judiciary has led to a complete loss of public confidence and effectively blocked the path of standard litigation procedures as a channel through which the rights and interests of ordinary people can be protected in accordance with the law.

    China's lawyers work under the direct supervision of the State's judicial administration departments. Local judicial bureaus enjoy sole decision-making power to award, evaluate or revoke the qualifications required by lawyers to work. Lawyers are not permitted to take up a case as individuals and are entrusted cases via the coordination of the lawyer's office to which they must affiliate. The lawyers office itself falls under the leadership of the local judicial administration department. Under this system, it is extremely difficult for Chinese lawyers to carry out their duties especially when faced with cases that involve human rights fabricated by administrative authorities. Should a lawyer genuinely wish to protect human rights, uphold the rule of law and stand up for justice, the resulting persecution and difficulties he or she will face are perfectly clear for all to see.

    The problems of operating under this system were highlighted in the recent case of the Chinese Democracy Party when those lawyers who volunteered to provide legal back up were at a complete loss at how to proceed following the obstruction of the judicial administration department. The lawyers were strictly forbidden from becoming involved in the case both by the lawyer's office and officials from local judicial bureaus. As a result they were forced to make one of two choices: to ignore the ban and have their legal qualifications revoked and thus lose the right to act as the appointed defence lawyer of the person in difficulty; or under such conditions, decline to serve as the appointed defence lawyer of the person in difficulty but retain their legal qualifications. This insoluble dilemma became so serious for Liaoning-based lawyer Wang Wenjiang that it caused enormous stress for all those involved.

    In 1991, Yang Zhouyin was imprisoned for applying to register a human rights association. When, after handling the standard legal procedures in the capacity of his lawyer, Shanghai-based Li Guoping then went to visit Yang in prison as his wife, the local judicial bureau revoked her lawyer's licence and expelled her from the lawyers' office. As a result, she had to abandon her legal career and after several years of uninterrupted persecution, left China with great regret. The road for Chinese lawyers working to legally improve human rights is extremely difficult.

    In China there still exist administrative measures that totally disregard basic human rights:
    re-education through labour (RETL). The relevant administrative regulations on reeducation through labour allow purely administrative departments to lock up anyone who opposes the Party or the socialist system or stands up to a leader (for example a worker who answers back to his boss) from one to three years and, on the same basis, extend the sentence for another year.

    In my experience of RETL, it is harsher than sentences handed down by criminal courts. While I was serving my RETL sentence, the guards casually used electric batons, beatings and other forms of torture and the camps make considerable profits out of forced labour. Originally the RETL system emerged in the 1950s during the Movement to Suppress the Counter-revolutionaries and the Anti-Rightist Movement as a way of dealing with those being persecuted. It remains in use today and has become an important means through which dissidents can be detained.

    In China the infringement of human rights and loss of protection has been thoroughly systemized. In China, people have been demanding human rights, democracy and the rule of law, during decades of bitter and committed struggle to improve the situation. Many, many people have been imprisoned during the struggle. However, even trying to organise a genuine investigation into the fate of those imprisoned is a risky and dangerous business as was testified by the nine year sentence handed down to democracy activist Li Hai. Li merely compiled a name list of imprisoned activists [involved in the 1989 Democracy Movement - Ed.] and was duly charged with "revealing state secrets". The persecution and harassment of the relatives of those locked up causes one to bristle with anger. Labour activist Liu Nianchun's wife Chu Hailan was beaten up twice by the authorities in August and September this year, causing great indignation and protest among human rights circles.

    At the same time there is cause for optimism despite the general lack of progress. The numbers of those involved in the democracy movement is continually increasing and the methods and strategies of the struggle are becoming more effective. Your support for Chinese democracy activists, by bestowing this great honour, is an enormous boost to all of us willing to fight and will lead to even more people being concerned with human rights. It is a struggle which will definitely end in success.

    Thank you again for this honour and please accept my deepest respect.

     

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